The Daily Prophet

La victoire était belle, ce jour-là. Et malgré les pertes, malgré les décès de nombreux de leurs proches, le monde de sorciers était en fête. Le deux mai devint bientôt une tradition que l’on célébra chaque année, pour ne pas oublier. Ne pas oublier les vies qui avaient été sacrifiées pour parvenir à triompher, ne pas oublier ces nombreux combattants qui étaient morts en héros, et ne pas oublier non plus ceux qui avaient survécus. Celui-Qui-Avait-Survécu, surtout, était mis à l’honneur chaque année, bien que ce cher Harry Potter ait rapidement disparu dans la nature avec sa compagne, Ginny Weasley, ne souhaitant apparemment pas profiter davantage de sa célébrité. Qu’importe, il apparaissait de temps à autres, et cela suffisait à tous les rassurer : ils étaient à l’abri, protégés par ce jeune homme aux yeux verts qui l’avait tué. Lord Voldemort n’était plus un nom tabou, et la nouvelle génération en riait souvent, sans comprendre l’étincelle horrifiée qui passait dans le regard de leurs parents. Le temps s’écoulait, mais leur mémoire ne flanchait pas, pour une fois, les souvenirs restaient bien à leur place, avec cette peur que personne n’avouait, cette angoisse au fond du ventre, et si tout recommençait ? On avait cru à sa mort une fois, serait-il capable de la déjouer une deuxième fois ? Cela paraissait plus qu’improbable, et par Merlin, cela l’était. Mais si Celui-Dont-On-Ne-Devait-Pas-Prononcer-Le-Nom, il fut un temps, était bel et bien parti, qu’en était-il de ses partisans ? Beaucoup avaient été envoyés à Azkaban, prison dont la protection avait été renforcée au maximum, avec des moyens que l’on ne connaissait pas avant. D’autres s’étaient suicidés, ne supportant pas la défaite, ne voulant pas admettre que leur maître n’était plus. Mais il y avait ces derniers, ceux-là même que l’on n’avait jamais retrouvés. Peu s’en inquiétaient, les pensant inoffensifs. La plupart s’en moquait, riait, les imaginant cachés au fin fond d’une grotte jusqu’à la fin des temps. Personne n’y avait songé, personne ne voulait y penser. Le bonheur était grisant, et toutes ces belles chansons qu’ils entamaient en cœur, dansant et riant. Plus jamais, clamait-on. Oh non, plus jamais ils ne se laisseraient abattre les uns après les autres, plus jamais quelqu’un n’aurait le pouvoir de les transformer en esclavage, car ils l’avaient, Lui. C’était beaucoup de foi pour un peuple qui aurait dû y regarder à deux fois, mais ne les blâmons donc pas si vite ; comment auraient-ils pu le deviner ? Vous-mêmes, vous ne saviez pas.

Il était invincible, il fut détruit. Il était grand, on le retrouva à terre, masse informe d’un corps brisé par les sortilèges. Le deux mai 2028, bien qu’ils ne le sachent pas encore, le monde des sorciers bascula à nouveau dans un chaos tel qu’il n’avait plus connu depuis trente ans. Les Potter furent les premiers touchés, et pendant quelques temps, il n’arriva plus rien. Mais tous, tous savait ce que cela signifiait, parmi les plus âgés : les comptes étaient terminés, et l’heure de la vengeance avait sonné. Alors certains partaient se cacher, tandis que d’autres s’apprêtaient à combattre, aussi courageux que des années auparavant. La nouvelle génération ne comprenait pas, ne voyait pas. Ce n’était qu’un meurtre parmi d’autres, après tout, peut-être même avait-il été fait au hasard ; naïveté mêlée d’une angoisse nouvelle, et si leur vie n’était pas si bien protégée ? Le deuxième coup fut porté deux mois plus tard. Ronald et Hermione Weasley succombèrent dans la nuit du deux au trois juillet, suite à, d’après l’état de la maison, un combat acharné. Les murmures se furent plus pressants, la peur s’insinua dans les chaumières, et les questions fusaient de partout, sans que quelqu’un ne puisse y répondre. Qui était-ce ? Un tueur en solitaire, ayant juré de terminer l’œuvre de son maitre ? Ou avaient-ils affaire à une nouvelle armée, prête à leur faire payer ces trente ans de sérénité ? Le mois d’août s’écoula dans un silence macabre, les parents ne souhaitant qu’une chose : envoyer leurs enfants à Poudlard, là où ils seraient à l’abri, là où ils ne verraient pas les horreurs qui se passaient dans le monde extérieur. Eux qui avaient tant été ravis de les élever dans la paix, le regrettaient aujourd’hui, lorsqu’ils observaient le bonheur insouciant de leur progéniture, leur maladresse, leur joie de vivre ; leur faiblesse. Ils ne seraient jamais assez forts pour lutter, ils devaient donc disparaître, tandis que les plus âgés livreraient bataille à leur place. La veille de leur rentrée à Poudlard, les Londubat furent à leur tour retrouvés morts, et ce fut dans un climat de panique pure que les parents déposèrent les enfants à la Gare King-Cross, attendant que le train disparaisse dans le brouillard de cette fraiche matinée de septembre pour pouvoir s’en aller, quelque peu rassurés.

Ils n’avaient cependant pas vu venir les dernières réformes mises en place par le Ministre de la Magie, et ce furent ébahis qu’ils virent les lettres qu’ils avaient écrites quelques jours plus tôt à leurs enfants leur revenir, encore fermées, jointes à la nouvelle loi qui régulerait maintenant le monde des sorciers : pour l’heure, les communications avec Poudlard étaient fermées, afin de ne pas paniquer les élèves. Ils ne devaient rien savoir sur le monde extérieur. Ainsi, tous ceux qui étaient à l’intérieur de l’école de sorcellerie n’avaient dès lors plus droit à aucun contact avec leurs familles. Les lettres étaient bloquées, les rares cheminées condamnées, et les professeurs veillaient au grain, surveillant plus que jamais les faits et gestes des résidents. Le but du Ministère était de contrôler un maximum la situation, de ne pas susciter la peur chez les plus jeunes qui, ma foi, étaient bien trop innocents pour être mêlés à ça. Les cours reprirent comme d’habitude, et les murmures s’élevaient dans les couloirs. Beaucoup étaient soulagés, ravis de ne pas avoir à endurer les commentaires incessants de leurs parents sur les retenues qu’ils accumulaient, sur les points qui n’étaient pas assez bons, sur la pluie et le beau temps, sur tout ce qui les ennuyaient profondément. D’autres se sentaient vaguement seuls sans leurs courriers quotidiens, sans le journal hebdomadaire qu’ils recevaient, sans les dragées surprises de Bertie Crochue qu’ils avaient l’habitude de recevoir le jeudi matin. Il n’existait qu’une minorité à être inquiet, à songer à ce qu’il se passait, au-dehors, à imaginer le pire. Les cours, quant à eux, ne tinrent pas bien longtemps. La première semaine, tous les professeurs étaient là pour les donner, usant d’un sourire paisible qui leur assurait une nouvelle année tout aussi calme que celles qui les avaient précédées. Le lundi suivant, quatre professeurs étaient partis de Poudlard, sans que le directeur ne daigne leur en expliquer la raison. Les rumeurs se firent plus pressantes, les coups d’œil échangés de plus en plus intrigués, tandis que le nom étrange d’une association courait dans les couloirs, quelques élèves à l’imagination débordante allant jusqu’à asséner que les membres de l’Obscur les avaient tués. Cela faisait rire la plupart, un de ces rires nerveux qui voulait tout dire, alors qu’ils balayaient d’un geste une telle idée. Il n’y avait pas de membres de l’Obscur, ce n’était que le nouveau ragot populaire de l’année. De toute façon, cela n’allait pas durer longtemps, les professeurs allaient revenir, et tout redeviendrait comme avant.

A l’aube de la troisième semaine passée au château, les cours furent annulés pour une durée indéterminée. Emprisonnés dans une cellule dorée, mis à l’écart pour être protégés, et si, au fond, le pire danger n’évoluait pas là, entre eux, silencieux, attendant son heure ?