deuxième du nom. terminée.

Tous s'affairaient, car tout devait être parfait. Les invités se déversaient en un flot luxueux : pierreries, diadèmes, robes de créateur, costumes italiens ... La salle de bal était pleine de brouhaha. Les invités lançaient tous des regards avides vers la grande porte, qui ne s'ouvriraient qu'à minuit pile. Il était vingt-trois heures et cinquante-cinq minutes. Le champagne coulait à flot dans les verres, les femmes riaient un peu fort et les hommes lançaient des oeillades lubriques vers les jeunes serveuses, et même serveurs. Il y a des secrets que l'on ne fait passer que par les regards ...

Derrière la grande porte, on s'affairait aussi. L'apparition devait être la plus spectaculaire possible. Vingt-trois heures cinquante-sept. On y était presque. Les valets époussetaient leurs beaux habits d'apparat et se munirent de leurs trompettes. Plus qu'une minute. Les portes s'ouvrirent dans un grand bruit, ce qui amena immédiatement le silence dans le salle de bal. Tous se tournèrent vers la porte, le souffle retenu. Les valets firent retentir leurs trompettes et l'un d'eux annonça avec solennité :

Je suis Prince,

Et à quel prix ...

« Sérénissime, vos parents vous demandent pour déjeuner. »
« Je n'ai pas faim. »
« Ils insistent. Son Altesse votre mère est très inquiète. »
« Je n'ai pas faim. Compris ? »

Chaque mot avait été dit avec une violence contenue. Jake leva ses yeux bleus vers le valet qui s'empressa de s'incliner et de quitter la pièce. Sitôt la porte fermée, Jake laissa exploser sa rage. Il prit la première chose qui lui tombait sous la main - une lampe, en l'occurrence - et la lança. Elle alla exploser contre la porte. Il les haïssait tous ! Qu'ils aillent tous se faire foutre ! Son père, sa mère, les valets, les chevaux ! Que le palais brûle, et lui, il rirait sur les tas de cendres ! Rien ne devait survivre d'ici. Un jour, il s'enfuirait d'ici ... Il partirait loin, avec pour seul bagage sa liberté. Mais pour l'instant, il était comme dans une cage. La cage la plus agréable de toutes, certes. Un palais royal, rien que ça ! Il était prisonnier de son titre, prisonnier de son sang, pourtant pas plus noble que celui d'un autre. Ses ancêtres faisaient de lui un esclave.

Sa seule liberté, c'était Poudlard. Sa mère était sorcière, et son fils avait hérité de ce don. Personne n'était au courant de qui il était, là-bas. Certains devaient s'en douter, car après tout, sur tous ses blazers, il y avait ces petites armoiries, discrètes mais présentes. On soupçonnait qu'il était riche, très riche aussi, avec ses valises luxueuses. Et quand il prenait le Poudlard Express, c'était toujours accompagné de deux valets habillés en costume rouge, frappés des armoiries de la famille royale. Peu de personnes devaient connaître l'existence de la Svetlanie, ce minuscule paradis fiscal, repère de nombreux hommes d'affaires douteux mais millionnaires.

On toqua à la porte. Avant même que Jake puisse faire un geste, sa mère entra, majestueuse dans sa robe bleu nuit. Par réflexe, le prince se leva et inclina légèrement la tête. Il l'avait fait machinalement, sans réfléchir. Des années d'éducation princière, ça laissait des traces. Emilia considéra son fils avec inquiétude, ses yeux bleus se plongeant dans leurs jumeaux. Elle n'avait jamais su comment parler à son fils, comment le consoler ou jouer avec lui, car ses parents eux-même n'avaient pas su lui parler, la consoler ou jouer avec elle. Et maintenant que son fils avait dix-huit ans, elle se rendait compte qu'être une reine ne lui conférait pas tous les talents. Elle resta donc muette devant ce grand fils qu'elle ne connaissait pas. Jake la scruta, presque cruellement. Il y prenait presque un plaisir sadique. D'une voix mielleuse, il demanda :

« Vous aviez quelque chose à me dire, Mère ? »

Il avait bien appuyé sur « Mère ».

« Non, je ... Je venais voir si vous n'aviez besoin de rien, Jake. »
« Et bien, comme vous le voyez, j'ai tout ce qu'il me faut ici. »
« Jake ... »
« Pas d'effusions, Mère. Allons, vous êtes une reine ! »

Sourire féroce. Emilia crut vaciller. Elle fit une légère révérence et quitta la pièce. Jake garda son mauvais sourire aux lèvres. Une flamme cruelle brillait au fond de ses pupilles océanes.

Jake était le résultat d'une éducation sévère et d'un tempérament de feu. On lui avait inculqué les bonnes manières, la politesse, la galanterie. Il avait décidé qu'il serait le plus mal élevé des princes, le plus impoli des garçons et le plus homo des tous les hétéros. Il était violent, impulsif et menteur. On l'avait rendu capricieux et impatient. Il était devenu frondeur et rebelle. A peine âgé de dix-huit ans, il avait décidé qu'il mènerait sa vie comme il l'entendrait, au mépris des conventions et de l'ordre, du qu'en dira-t-on. De la hardiesse ou de l'arrogance, qu'importe, tant que Jake est libre.

jake's theme.

Pourquoi pas ?

Parce que.

« Après tout, pourquoi pas. Je pourrais être ce prince qu'on me demande d'être, si je faisais quelques efforts. Mais je ne suis pas assez sage. Puis j'ai pas le carrure. Regardez-moi, franchement ! Ai-je l'air d'un futur roi ? Tout au plus, j'ai la défroque d'un prince décadent. Je ne suis pas quelqu'un de responsable. Je fais ânerie sur ânerie, j'ai l'impression de tout foirer. Pourtant, je continue, parce que c'est la seule fuite possible. »

Jake ouvrit les yeux sur cette pensée. On était à l'aube, et le ciel se dévêtait peu à peu de son manteau bleu nuit pour se recouvrir d'une robe dorée. Il se redressa, doucement et contempla la silhouette veloutée qui dormait encore à côté de lui. Il eut un sourire presque tendre et laissa ses doigts s'égarer sur le cou de son amant. Une connerie de plus, encore une. Mais il n'y pouvait rien. La jeune proie s'éveilla, clignant doucement des yeux. Jake le considéra avec tristesse :

« Tu vas me manquer, Henryk. Je suis triste de te quitter. »

Le jeune valet contempla son prince avec douceur. Chaque séparation était douloureuse, depuis le temps qu'ils entretenaient une relation. C'était à la fois charnel et amical. Le valet déposa un baiser sur la joue de Jake et répliqua, trop durement peut-être :

« Vous ne devriez pas. Vous étouffez ici, vous le dites si souvent. Vous rêvez de liberté, alors ne vous attachez pas aux gens. Ils sont des pierres ancrées dans le sol dont on ne peut se détacher. »

Henryk se leva et commença à s'habiller. Jake le regarda avec étonnement. Jamais il n'aurait soupçonné qu'Henryk puisse parler ainsi. Les deux amants se quittèrent au petit matin, pour ne plus jamais se revoir cette fois. Quelques jours plus tard, Jake prenait le train pour Poudlard. Il fuyait, comme toujours.